Emmanuel Pierrat auteur de « Les symboles pour les Nuls »
Le symbole, un objet transitionnel qui nous relie au monde
L’interview d’Emmanuel Pierrat par La Voix Libre des Francs-Maçons
Avocat spécialiste de propriété intellectuelle, Franc-Maçon et auteur de l’ouvrage « Les symboles pour les Nuls » qui vient de paraître chez First Edition, Emmanuel Pierrat décrypte pour nous la genèse de son ouvrage entre lecture profane et travail d’initié. Il nous parle également de la dimension symbolique des marques. Entretien.
La Voix Libre des Francs-Maçons : Qu’est-ce qu’un symbole pour toi et dans l’optique ce livre ?
Emmanuel Pierrat : Il y a deux réponses : la réponse de Franc-Maçon et la réponse profane.
La réponse de Franc-Maçon consiste à dire que la voie maçonnique repose à la fois sur les rites et les symboles.
Les définir dans ce cadre c’est compliqué surtout que nous avons l’habitude de dire que tout est symbole. Rites et symboles sont les deux outils principaux du franc-maçon quel que soit son grade. C’est ainsi que la franc-maçonnerie s’est définie au XVIIIème siècle en prenant une voie intermédiaire entre la philosophie et la croyance.
Une métalangue universelle
De façon plus pragmatique et universelle, les symboles sont une façon de décrypter le monde et de le ressentir. C’est une sorte de métalangage, qui parle directement au corps, aux sens, et qui permet, sans nécessairement avoir recours à une intelligence cartésienne, d’avoir au premier niveau, une lecture littérale du symbole. Par exemple si je vois un triangle ou une croix, je pense à l’objet triangle ou croix. Au deuxième degré on peut en avoir une lecture philosophique, qui est par exemple « je sais que le triangle rappelle la maçonnerie, le delta lumineux ou les pyramides. Je sais que cela signifie plein de choses ». Et au troisième degré la lecture du symbole va au-delà de cette interprétation philosophique ; elle est alchimique. Un vrai symbole est donc un outil qui peut être lu trois fois au minimum.
Sinon on n’est pas face à un symbole mais face à quelque chose de plus simple qui peut être un logo, ou encore une icône. Mais attention, la confusion est rapide car il y a malgré tout des logos ou des icônes qui ont désormais une portée symbolique. Et c’est donc la partie du livre où je mêle des concepts qui sont plus proches de l’homme moderne que des traditions initiatiques, du christianisme ou des indiens des pleines ! Car certains éléments très profanes de notre société ont une véritable portée symbolique.
Un objet qui nous relie au monde
VLFM : Très schématiquement comment définis-tu un symbole ?
E.P. : Je crois bien que je n’ai pas de définition précise. C’est pour ça que j’ai écrit un livre ! J’ai lu plein de définitions de ce que peut être un symbole. Je demeure malgré tout perplexe. Je définis les symboles en m’appuyant sur les symboles. Ce n’est ni un signe, ni un langage. C’est une sorte de message, souvent à portée universelle et qui se lit souvent par les sens.
VLFM : Est-ce que ce serait une espèce d’objet transitionnel ?
E.P. : Oui, bien sûr. C’est un objet qui te relie au monde. Pour nous c’est la méthode par laquelle nous avançons, nous réfléchissons et acceptons de nous élever.
Les symboles maçonniques
VLFM : Qu’ont-ils de particulier, les symboles maçonniques ?
E.P. : Leur corpus est particulier et extrêmement large. Il varie aussi selon les grades et les rites. Par exemple quand tu travailles au rite Ecossais, tu travailles avec bien plus de symboles qu’au rite français moderne. Et nous n’accordons pas tous la même importance ou la même hiérarchie à nos symboles. Mais ils sont un outil indispensable à tous les Franc-Maçons. Le rite et le symbole, c’est ce qui fait le maçon. Leur connaissance est indispensable à notre travail, qui, quelle que soit sa portée, philosophique, spirituelle, sociétale, passe nécessairement par les symboles.
VLFM : Quelle différence fais-tu entre un signe et un symbole ?
E.P. : Un signe est quelque chose de plus simple. Certains signes ne sont pas des symboles, alors que d’autres le sont ! Un signe est quelque chose que la nature peut produire. Par exemple la fumée : par exemple ce peut être le signe que le volcan est entré en irruption. Ca peut devenir un symbole si l’homme s’en mêle. C’est la lecture par l’homme et la façon dont il se relie à ce signe, qui lui donne un caractère symbolique.
Donc ce serait l’homme qui crée le symbole au travers de la façon dont il se relie à un signe ?
Bien sûr il utilise un signe et lui donne une lecture au travers de laquelle il entre en communication avec le monde.
VLFM : Avec quel monde ?
E.P. : Selon que tu es croyant ou non, il y a plein de façons de l’interpréter. Et on peut en avoir plusieurs lectures en même temps. C’est donc une connexion au monde, pris dans sa globalité : l’humanité et la planète. L’homme peut aussi y ajouter une portée plus métaphysique ou spirituelle.
Les niveaux de lecture
VLFM : Quels sont donc les différents niveaux de lecture d’un symbole ?
E.P. : La lecture littérale, la lecture philosophique et la lecture alchimique. C’est la lecture des symboles telle que les Franc-Maçons la pratiquent.
VLFM : Peux-tu approfondir un peu sur la lecture alchimique ?
E.P. : Tout dépend du niveau et du grade ! Et tout dépend dans quel contexte tu travailles. Mais les vrais alchimistes du monde moderne aujourd’hui, je considère que ce sont les Franc-Maçons. Attention, nous ne sommes ni en train de trouver la pierre philosophale, ni de transformer le plomb en or. Nous touchons à une lecture alchimique des symboles, au travers de l’alchimie spirituelle.
Pour une lecture politique des symboles des grandes marques
VLFM : Quelle valeur donnes-tu à un symbole profane d’une grande marque ?
E.P. : Il est intéressant dans une lecture politique. Je suis avocat spécialiste de propriété intellectuelle. Il ne me semble donc pas absurde de m’intéresser à ce que signifient les marques. Elles font appel par exemple à un corpus classique de symbolique des couleurs pour communiquer.
Une marque fait appel à des alphabets, à des symboles qui sont plus que de l’écriture.
Les polices de caractères utilisées sont connotées. Il faut savoir que selon que tu utilises par exemple du Palatino ou du Garamond, tu ne communiques pas la même chose à ton lecteur. Il en va de même pour les couleurs. Certaines marques le font presque naturellement, sans même être conscientes de ce qu’elles utilisent. Et une lecture politique plus engagée des logos et des marques renvoie à la société de consommation, à la notion d’obsolescence des produits, etc.
Face aux symboles du monde profane nous avons un devoir de vigilance
Et nous ne devons pas le négliger. Je pense qu’un maçon conscient de sa place dans le monde et de son rôle qui est de répandre à l’extérieur du temple des valeurs qu’il a acquises, doit être capable de ne pas négliger les marques et les logos et de s’y intéresser. Certes pas pour les aduler, mais ce serait innocent ou candide d’affirmer qu’on s’en fiche et que ça ne nous intéresse pas. Parce que les marques font partie de notre vie. Et là où par exemple dans un roman du XIXème siècle Balzac disait : le personnage monte dans une calèche, le romancier moderne le fait monter dans une Audi, une Rover, une Renault… etc. Il utilise des marques pour signifier quelque chose au lecteur… sur une catégorie professionnelle, un côté bling bling ou au contraire plus simple… Qu’on le veuille ou non, les marques signifient quelque chose. Elles sont porteuses d’un sens.
Un détournement symbolique des marques
Les marques non seulement utilisent un corpus symbolique pour communiquer, mais elles se font appliquer un corpus symbolique supplémentaire par les consommateurs que nous sommes. Pour ma part je m’intéresse au détournement des marques, au système « no logo » de Naomi Klein…
J’ai plaidé une grosse affaire qui s’appelle « Je boycotte Danone ». Je m’intéresse aussi à la façon dont les groupes industriels utilisent une marque pour désigner leur propre entité… non plus seulement les produits, mais également ce qu’elles sont, car ils pensent que ça correspond à un certain nombre de valeurs…
La littérature et le cinéma contemporains utilisent les marques. Elles font également partie de notre vie politique, via l’économique. Et qu’on le veuille ou non, il existe un pouvoir symbolique des marques. On peut le nier et maçonner entre nous, mais c’est à mon avis une erreur. Un maçon doit être un humaniste vigilant qui s’intéresse à ce qui se passe dans le monde. Bon, ce n’est pas non plus le cœur de l’ouvrage, mais à la fin j’ai consacré un chapitre à la signification des symboles du monde moderne : les icônes, l’économie, les marques. J’ai mis la symbolique de l’univers marchand et de l’organisation sociale sur le même plan que les costumes, les masques ou encore l’héraldique. J’ai donc choisi de proposer une vision symbolique de la société par l’homme moderne.
Regarder à l’intérieur du masque
VLFM : Quelle corrélation établis-tu entre le masque et les marques ?
E.P. : Pour certains les masques sont vénitiens, pour d’autres africains ou indonésiens… Ils font référence éventuellement à des rites d’initiation qui permettent de passer de l’enfance à l’âge adulte, sans passer par l’adolescence que connaissent les occidentaux. C’est une façon d’accélérer le processus de croissance et de vivre une initiation. J’ai donc énormément travaillé sur les masques. J’étais très ami avec Claude Lévi-Strauss, qui est décédé il y a quelques années et je suis toujours l’avocat de sa famille… je m’occupe de la propriété intellectuelle de ses livres et il a écrit des livres merveilleux sur le sens des masques. Il y aurait beaucoup à dire… Notamment sur la façon dont nous nous masquons en loge, parfois, au minimum avec un bandeau noir, et parfois au-delà d’autres façons… pour nous dissimuler le visage ou voiler notre regard… un masque n’est pas seulement lu par celui qui regarde l’homme masqué, mais aussi par le porteur du masque.
Quand tu regardes un vrai masque, il faut toujours regarder à l’intérieur du masque.
Proposer une autre lecture du masque
Pour établir un rapprochement avec les marques : une marque essaie de te donner la vision d’un masque particulier, mais si tu te glisses à l’intérieur tu arrives à en trouver une autre lecture. Ce sont des symboles complexes avec plusieurs niveaux de lecture.
VLFM : Quel message as-tu pour tes lecteurs et pour les gens qui s’intéressent aux symboles ?
E.P. : Historiquement les symboles ont précédé l’écriture. C’est la première forme d’expression d’une pensée. Depuis les grottes préhistoriques jusqu’à l’exploration de l’espace, les symboles sont indispensables à tout être pensant. Donc ce que je souhaite c’est être lisible par ceux qui sont initiés au symbolisme, mais aussi par ceux qui n’y connaissent rien. Mon souhait, c’est qu’ils apprennent réellement à avoir une autre lecture de symboles qu’ils connaissaient déjà sans les pour autant jamais vus sous cet angle