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Face à l’antimaçonnisme

A partir d’une conférence de Jiri Pragman en 2014, parue dans « La Planche à Tracer N°3

Par Jiri Pragman, écrivain, est journaliste et auteur belge, Franc-Maçon au Grand Orient de Belgique. Il est l’auteur de l’ouvrage « L’antimaçonnisme actuel ».

Faut-il évoquer l’antimaçonnisme ? Certains diront que c’est faire trop d’honneur aux “forces obscures” voire de la publicité, ou même leur servir la soupe. D’autres adopteront une attitude quelque peu matamoresque : « Qu’ils viennent et ils tâteront de mon épée » (rectifiée) ! Pourtant, nier une réalité même déplaisante ou  la minimiser ne l’a jamais fait disparaître. Il faut cependant raison garder : il reste plus facile d’être franc-maçon en France que chrétien en Irak. Néanmoins l’antimaçonnisme mérite qu’on s’y intéresse (euphémisme).

 

Un antimaçonnisme de plus en plus décomplexé ‘il faut faire face à cet antimaçonnisme, il est important de prendre la mesure des forces en présence et connaissance de leurs arguments avant de pouvoir y répondre. La rédaction du livre consacré à L’antimaçonnisme actuel s’est naturellement imposée après une dizaine d’années d’observation de l’Internet et de la presse.

Si l’antimaçonnisme remonte aux premières années de la franc-maçonnerie dite moderne, il a souvent été étudié d’une manière historique, en se consacrant à une période (un siècle, le début du 20e siècle, l’Occupation) dans un pays. Or cet antimaçonnisme est bien vivant; il s’est globalisé et utilise tous les outils de communication disponibles. Et des interventions livresques et pamphlétaires, les latomophobes sont passés aujourd’hui aux injures publiques, aux manifestations devant des sièges d’obédience maçonnique  par exemple (à proximité du Grand Orient de France avec la distribution d’une prière pour la conversion des Francs-Maçons ou la veille de “sentinelles”), au vandalisme avec tags, et même aux incendies de loges. La publication de listes de Francs-Maçons reste pratiquée et, dans certains pays, s’exprime une volonté d’obliger les maçons à se déclarer, tout au moins dans certaines fonctions comme la police ou la magistrature.

Un antimaçonnisme religieux

Et ces antimaçons sont issus de milieux bien différents. Aux traditionnels catholiques lecteurs des condamnations papales (pour cause de secret, de serment, de relativisme, de latitudinarisme…) se sont ajoutés les intégristes, les sédévacantistes (pour lesquels Vatican II aurait été une création maçonnique) et des catholiques de base opposés à un pouvoir  « maçonnique » et à ses lois « mortifères » (lisez relatives à l’euthanasie ou fin de vie) ou contre la famille (lisez autorisant le mariage homosexuel dit « pour tous » en France). D’autres chrétiens les ont rejoints : certains protestants, particulièrement évangéliques qui ont fait leurs les accusations de satanisme, des orthodoxes.

Chez les musulmans, des fatwas condamnent la franc-maçonnerie, une fatwa de 1978, très inspirée par les Protocoles des Sages de Sion, mettant déjà en cause l’instrumentalisation des francs-maçons par les sionistes, un argument repris dans la charte du Hamas de 1988. Cette association entre juifs et Francs-Maçons et sa condamnation se diffuse largement via l’Internet et atteint un jeune public sensible à la situation au Proche-Orient.

Un antimaçonnisme politique

L’antimaçonnisme n’est donc pas seulement d’origine religieuse, s’en prenant à une franc-maçonnerie « sans dieu ». Elle est aussi politique avec un antimaçonnisme anti-républicain (dénonçant les loges ou arrière-loges qui auraient provoqué la Révolution française, et les francs-maçons régicides), antidémocratique, nationaliste condamnant une franc-maçonnerie internationaliste (qualifiée d’anti-France) ou exigeant la séparation de l’Etat et de la franc-maçonnerie. Cet antimaçonnisme qui peut aussi être d’extrême gauche lorsque, à l’instar de Trotsky, est dénoncé son caractère petit-bourgeois et réactionnaire. Et l’extrême-gauche et l’extrême-droite peuvent se retrouver lorsqu’elles dénoncent le sionisme… et le judéo-maçonnisme qui le soutiendrait.

L’antimaçonnisme n’est pas réservé aux seuls extrémistes. Il atteint d’autres publics qui s’expriment sans gêne, associant la franc-maçonnerie (et les « réseaux » maçonniques) au pouvoir politique et à ses dysfonctionnnements… quant ce n’est pas à des réseaux (pédo-)criminels. Et il ne faut pas oublier les théoriciens du complot convaincus que les francs-maçons sont des instruments aux mains des Illuminati ou, plutôt, leurs marionnettes.

Les canaux de l’antimaçonnisme

L’antimaçonnisme se diffuse non seulement à travers des livres « classiques » mais aussi à travers des rééditions d’ouvrages anciens qu’on aimera citer (parmi les citations prisées par les antimaçons figurent des citations de maçons plus amateurs de mythes que d’histoire) et, surtout via les outils Internet que sont les sites web, les blogs, et depuis moins d’une dizaine d’années, les réseaux sociaux comme Facebook ou de partages de vidéo comme YouTube (avec des montages très particuliers d’extraits d’émissions TV ou de films). La fachosphère est extrêmement active, partageant des articles et multipliant les liens.

Les limites de l’extériorisation

Face à cet antimaçonnisme très actif, comment les maçons pourraient-ils réagir ? Certains prônent un retour à un plus grand secret. D’autres estiment qu’il faut pratiquer une extériorisation mesurée s’appuyant par exemple sur des portes ouvertes (par exemple lors de journées du patrimoine), des conférences et expositions, des salons du livre maçonnique, des interventions (pesées) dans les médias. Les mêmes estiment souvent qu’une communication incontrôlée avec des prises de position (et communiqués) sur une variété de sujets, certaines interventions dans la presse, une prétention à jouer « l’Eglise de la République » ou une trop grande proximité avec le politique peuvent porter trop facilement le flanc à une critique qui rejaillit sur l’ensemble des obédiences. Et, bien entendu, le recrutement doit être scrupuleux de manière à éviter que tout individu douteux ne soit intégré.

Debunking

On ne pourrait aussi opposer le simple silence aux « arguments » des antimaçons. Les maçons devraient donc pratiquer le debunking c’est-à-dire démonter les rumeurs et mythes autour de la maçonnerie. Un travail sans doute lourd et fastidieux mais ô combien indispensable. Un grand chantier nous attend…

L’antimaçonnisme actuel de Jiri Pragman, Télélivre, Bruxelles, 2014. Le livre peut être commandé en ligne auprès des librairies Detrad et Scribe (France) ou La Cale Sèche et La Commanderie (Belgique).