Voici une quinzaine d’années, Jean-Luc Maxence écrivait un livre au titre provocateur, « Jung est l’avenir de la Franc-maçonnerie », titre bien différent de celui de cet article, qui va en reprendre quelques idées. Quelques thèmes de réflexion très clairs, essentiels, placent en effet C.G. Jung et la psychanalyse junguienne au cœur des problématiques maçonniques, celles d’hier et probablement celles de son avenir :

  • La problématique de la transformation de soi, progressive, construite, un chemin semé de symboles qui touchent à la psyché humaine la plus profonde. Le concept junguien d’individuation évoque tellement le processus de transformation qui se joue dans un parcours initiatique !
  • La tradition, l’alchimie notamment, constituent le terreau, le voyage, le langage, à partir desquels peut être conduite la transformation de l’initié, comme celle de qui travaille à partir de la psychologie des profondeurs. Les correspondances sont multiples, et l’auteur étanche notre soif de savoirs, mythes, métaphores et symboles en double appartenance, si l’on peut dire. Et le travail du symbole est présent tout au long ; il cite Jung : « Lorsque l’esprit entreprend l’exploration d’un symbole, il est amené à des idées qui se situent au-delà de ce que notre raison peut saisir »

Nous nous concentrons ici sur la première de ces propositions, sur le chemin. Il s’agit bien, dans les deux démarches, maçonnique et junguienne, d’interroger le sens de la vie, et d’y reconnaître, pour s’y immerger, le sacré. Un espace radicalement différent de l’ordinaire, en tant que lieu où se joue l’être même de l’homme. Aussi, d’avoir le courage de chercher de quoi il est peuplé.

J’introduirai toutefois une grande différence entre la démarche individuelle, suivie dans une psychanalyse, et la voie de l’initiation maçonnique : en maçonnerie, il n’y a pas un interlocuteur unique, la figure du thérapeute, la question du transfert et du contre-transfert, mais des frères et des sœurs qui vous reconnaissent comme franc-maçon, qui sont eux aussi sur le chemin, et vous y aident, vous y instruisent, lorsqu’ils sont en capacité de le faire. Une pluralité de Maitres, une diversité d’expériences humaines, en relation de fraternité.

Cela dit, J-L Maxence y a pensé, sur un certain plan : « Le Franc-maçon devient toujours, après l’initiation et l’acquisition de la première lumière, une sorte de psychanalyste, repère et réceptacle de transferts, miroir reflétant pour un autre de ses frères. C’est peut-être cela aussi le secret inexprimable de toute métamorphose par degrés ?« 

Au fond, sur le chemin, sur chacun des chemins de mutation, c’est bien de ces différences d’approche, de ces nuances qui ne nient point le substrat commun, que nous pouvons, me semble-t-il, tirer un parti prometteur. Par exemple, le Franc-maçon peut trouver dans le concept de l’individuation, du processus d’individuation, un point de repère, une source éclairant autrement sa démarche, lui présentant la possibilité de son unité autonome et indivisible. Car il s’agit bien de devenir, avec la maturité (en franchissant les degrés), l’individu singulier qui a su rejoindre son centre, « au plus proche du Soi, une personnalité à nulle autre comparable, unique, sacrée, ayant enfin atteint sa vérité la plus profonde…  » (Maxence). Attention ! Il ne s’agit pas du moi, d’un égocentrisme, « l’individuation n’exclut pas l’univers, elle l’inclut » nous dit Jung. Le Soi est symbole et archétype de la totalité, employé « soit pour signifier l’ordonnance des divers aspects de l’univers – c’est-à-dire un schéma cosmique – soit pour ordonner les divers aspects de la psyché ». Et sur le sentier pour progresser vers son centre ou vers sa perfection – jamais atteints – l’individuation, comme l’initiation, sont une perpétuelle re-naissance.